DEUX SERPENTS POUR ILLUSTRER YOGA-ET-PSYCHOLOGIE.

Moksha et psychologie : quand la science rejoint la sagesse

Une exploration des ponts entre le yoga ancien et la psychologie contemporaine

« Moksha n’est pas un ailleurs. C’est l’instant où je reconnais que je ne suis pas ce qui me limite. Et que ce que je suis – la conscience elle-même – n’a jamais été enchaîné. »


Sommaire

  1. Introduction – Quand la psychologie redécouvre la sagesse
  2. Moksha : se délier de l’illusion
  3. Kleshas et samskāras : les racines de la souffrance
  4. La psychologie contemporaine face aux cuirasses de l’ego
  5. Deux voies, une même libération ?
  6. Une pratique intérieure : voir sans s’identifier
  7. Conclusion : science et sagesse, enfin réconciliée

1. Introduction – Quand la psychologie redécouvre la sagesse

Et si les grandes avancées de la psychologie contemporaine n’étaient pas une innovation radicale, mais plutôt une redécouverte ?
Et si les concepts modernes de croyances limitantes, de schémas comportementaux ou de traumatismes n’étaient que d’autres noms pour ce que les yogis de l’Inde ancienne avaient déjà décrit, en des termes étonnamment précis et profonds ?

Depuis plusieurs années, les sciences de l’esprit — notamment la psychologie humaniste, les approches intégratives et les neurosciences contemplatives — s’ouvrent aux traditions anciennes comme le yoga, le bouddhisme ou le Vedānta. Mais la logique historique est claire : c’est bien la psychologie moderne qui commence à parler le langage du yoga, et non l’inverse.

Cette publication propose d’explorer les ponts profonds entre la quête de moksha — la libération — et le travail thérapeutique de guérison intérieure. Une rencontre précieuse entre deux chemins complémentaires : celui de la guérison et celui de la libération.


2. Moksha : se délier de l’illusion

Le terme sanskrit moksha signifie : « libération, émancipation, affranchissement ».
Il vient de la racine muc, que l’on retrouve aussi dans mukti, et qui signifie « relâcher, se détacher, lâcher prise ».

Dans la tradition yogique, moksha est la finalité de toute pratique. Il ne s’agit pas d’un paradis futur ou d’un état mystique lointain, mais d’une expérience immédiate de liberté intérieure, obtenue en dissolvant les identifications erronées à l’ego, aux pensées, au corps et aux émotions.

Moksha, c’est cesser de croire que nous sommes ce que nous pensons être.
C’est reconnaître la conscience silencieuse qui, en nous, observe tous les mouvements sans être affectée par eux.


3. Kleshas et samskāras : les racines de la souffrance

Les Yoga Sūtras de Patañjali, texte fondamental du yoga classique, décrivent les cinq grandes causes de souffrance, appelées kleshas :

  1. Avidyā – l’ignorance de notre vraie nature
  2. Asmitā – l’ego, la fausse identification au « je »
  3. Rāga – l’attachement à ce que l’on désire
  4. Dveṣa – l’aversion, le rejet de ce que l’on fuit
  5. Abhiniveśa – la peur de la mort, ou de cesser d’exister

Ces kleshas conditionnent nos réactions, nos pensées, nos désirs, nos peurs. Ils sont à l’origine de nos tensions intérieures, de nos conflits, de nos attachements émotionnels.

Ils sont renforcés par les samskāras : empreintes laissées par nos expériences passées. Ces impressions inconscientes façonnent notre personnalité, nos préférences, nos phobies, nos rêves — tout comme les vāsanās, tendances latentes qui en découlent.

Le yoga nous invite non pas à les combattre, mais à les observer avec lucidité, et à nous désidentifier de ce qui n’est pas notre essence.


4. La psychologie contemporaine face aux cuirasses de l’ego

La psychologie moderne — notamment à travers les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), la psychologie des schémas (Jeffrey Young), l’analyse jungienne ou encore les approches comme l’IFS (Internal Family Systems) — étudie les croyances profondes, les mécanismes de défense, les parts blessées de l’ego.

Par exemple, la thérapie des schémas identifie des croyances racines du type :

  • « Je ne suis pas digne d’amour »
  • « Je dois être parfait(e) »
  • « Je ne peux pas faire confiance »
  • « Je suis en danger permanent »

Ces croyances, forgées dans l’enfance, deviennent des stratégies adaptatives : soumission, hypervigilance, évitement émotionnel. Elles sont l’équivalent psychologique des samskāras yogiques.

L’approche IFS, quant à elle, postule que notre esprit est composé de « parts » — des aspects de nous figés dans des rôles, souvent en réponse à une blessure ancienne.
Là encore, le parallèle avec les vṛttis, les fluctuations mentales des Yoga Sūtras, est saisissant.


5. Deux voies, une même libération ?

La différence fondamentale entre les deux approches réside dans leur objectif :

  • La psychologie vise la guérison de la personnalité, la restauration d’un moi plus stable, plus apaisé, plus fonctionnel.
  • Le yoga vise la transcendance du moi, la dissolution de toute identification au mental, pour retrouver l’être essentiel : le drashtā, l’observateur pur.

Mais ces deux voies peuvent être parfaitement complémentaires :

  • La psychologie aide à pacifier le mental et à alléger les schémas récurrents.
  • Le yoga invite à contempler ces schémas comme des objets de conscience, à en voir la vacuité, et à s’ouvrir à l’espace qui les contient.

« La psychologie libère la personne. Le yoga libère de la personne. »


6. Une pratique intérieure : voir sans s’identifier

« On ne peut pas libérer ce qu’on ne voit pas. Et on ne peut pas s’identifier à ce que l’on voit clairement. »

Voici une courte pratique d’observation consciente, inspirée à la fois du yoga et de la thérapie intérieure :

  1. Assieds-toi en silence, les yeux fermés. Respire profondément.
  2. Rappelle-toi un schéma récurrent : une peur, une croyance, une tension.
  3. Observe ce qu’il produit dans ton corps, sans jugement.
  4. Laisse ce contenu mental exister, sans vouloir le changer.
  5. Reviens doucement à celui ou celle qui observe, en silence, sans commentaire.

Répète :

Je vois cette pensée… mais je ne suis pas cette pensée.
Je ressens cette peur… mais je ne suis pas cette peur.

C’est cela, moksha en action.


7. Conclusion : science et sagesse, enfin réconciliées

La psychologie contemporaine et les traditions yogiques ne s’opposent pas — elles se répondent.
Elles utilisent des langages différents pour parler d’un même mystère : la conscience humaine et sa liberté potentielle.

La science explore la carte.
La sagesse vit le territoire.

Moksha n’est plus un concept ancien réservé aux ascètes. C’est une invitation actuelle et urgente à nous délier de ce qui nous enferme — à redevenir vastes, souples, ouverts, silencieux.

« Nous ne sommes pas nos blessures, nos pensées ni même nos histoires.
Nous sommes cet espace conscient capable de les voir, de les traverser, et de s’en libérer. »


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