Dualisme ou non dualisme? THAT is the question !
Dans me cours de yoga je propose souvent au début de se placer en observation de sn souffle ou de ses pensées. Méthode de prise de conscience, de recul, d’accalmie, d’écoute. Dès que l’on parle d’observateur, on fait une différence entre lui et la chose observée, il a alors « fragmentation » , source de conflit (comme le décrit si bien Krisnamurti). D’un autre côté l’analyse et l’observation proposées par le Samkhya est incontournable pour comprendre le monde, le microcosme en miroir avec le macrocosme.
Faisons un point, il est essentiel!
Notons avant de commencer que la philosophie indienne est fondamentalement inclusive. Le ET remplace bien souvent le OU. Tout coexiste. Donc, là où nous trouvons un paradoxe, l’Inde trouve une concomitance voire une consubstantialité.
Ensuite, et pour rappel, la racine du mot « yoga » vient du sanskrit « yuj », qui signifie « union », « attelage », ou « connexion ». Il s’agit d’une discipline qui cherche à unifier le soi individuel (Atman) avec le divin ou la conscience universelle (Brahman). Avant de les unifier, on les perçoit comme séparés alors ?
En outre, et encore plus simplement, pour comprendre le dualisme, il faut avoir abordé le dualisme, non ?
Introduction sur la philosophie dualiste et non dualiste dans la philosophie orientale
La philosophie orientale, qui inclut les traditions de pensée hindoue, bouddhiste, taoïste et autres systèmes, explore profondément les concepts de dualisme et de non-dualisme, qui sont des cadres fondamentaux pour comprendre la nature de la réalité, du soi, et de l’univers.
Le Dualisme
Dans la philosophie orientale, le dualisme repose sur la reconnaissance de la séparation ou de la distinction entre deux principes opposés. Cela peut inclure, par exemple, l’opposition entre le corps et l’esprit, le bien et le mal, le moi et l’autre, ou encore le matériel et le spirituel. Dans l’hindouisme, par exemple, l’école du Sāṃkhya propose une vision dualiste où la réalité est divisée entre Purusha (le principe spirituel ou conscience) et Prakriti (la matière ou nature). De même, dans certaines traditions bouddhistes, il existe une distinction entre la nature relative (le monde phénoménal des apparences) et la nature ultime (le nirvana ou la vacuité).
Le Non-Dualisme
En contraste avec cette perspective, le non-dualisme, ou advaita en sanskrit, suggère que la division entre ces opposés est illusoire, et que, dans leur essence ultime, tout est Un. Le non-dualisme est particulièrement central dans des traditions comme l’Advaita Vedānta dans l’hindouisme, qui enseigne que la distinction entre l’âme individuelle (Atman) et l’Absolu (Brahman) n’est qu’une illusion (ou Maya). De même, dans certaines écoles du bouddhisme Mahāyāna, comme l’école de la Prasangika et la théorie de la vacuité (Śūnyatā), la réalité ultime transcende toutes les distinctions conceptuelles et dualités apparentes.
Dualité et non-dualité dans le Taoïsme
Dans le taoïsme, une autre tradition philosophique orientale, la relation entre le dualisme et le non-dualisme est capturée par le concept du Tao. Le Tao, ou la Voie, est l’unité sous-jacente qui englobe les opposés apparents comme le Yin et le Yang. Ces polarités existent certes en tension, mais elles sont également interdépendantes et inséparables, illustrant une forme de non-dualité au sein même de la dualité.
Ainsi, les philosophies dualistes et non-dualistes en Orient explorent des visions contrastées de la réalité, mais sont souvent interconnectées. Le dualisme met l’accent sur la multiplicité et la différence, tandis que le non-dualisme cherche à transcender ces distinctions pour révéler une unité profonde et fondamentale. Ensemble, elles offrent une compréhension riche et nuancée de la vie, du soi et de l’univers, influençant profondément les pratiques spirituelles et contemplatives dans ces tradition
Krishnamurti , un philosophe non dualiste.
Jiddu Krishnamurti (1895-1986) est l’une des figures philosophiques les plus influentes du 20e siècle. Né en Inde, il a été désigné dès son plus jeune âge par la Société théosophique comme étant le « nouvel instructeur mondial », mais il a ensuite rejeté toute forme d’autorité spirituelle, y compris celle qui lui était attribuée. Son enseignement s’est dès lors concentré sur la liberté individuelle, l’auto-exploration et la libération de toute forme de conditionnement psychologique. Bien qu’il ait été exposé à de nombreuses traditions philosophiques et spirituelles, la philosophie de Krishnamurti est fondamentalement non-dualiste, tout en restant profondément ancrée dans l’idée de la transformation intérieure.
La Philosophie Non Dualiste de Krisnamurti
Krisnamurti se distingue des traditions religieuses établies, car il ne propose pas de chemin spécifique vers l’illumination, ni d’enseignements dogmatiques. Sa philosophie non dualiste repose sur une remise en question radicale des divisions que nous créons dans notre esprit, qu’elles soient entre le soi et les autres, ou entre le penseur et ses pensées. Selon lui, la dualité qui réside dans notre perception du monde n’est qu’une illusion créée par le conditionnement mental.
L’Unité de la Conscience
Au cœur de sa pensée non dualiste, Krisnamurti met en avant l’idée que le « moi » est une construction de la pensée. Ce « moi » fragmenté, divisé, qui perçoit le monde en termes de « moi » et « l’autre », est le résultat de notre éducation, de nos conditionnements sociaux, et des influences culturelles. Pour Krisnamurti, le conflit et la souffrance qui en découlent proviennent de cette division artificielle.
Il affirme que la conscience humaine est fondamentalement unifiée et que la perception d’un soi individuel, distinct des autres et du monde, est illusoire. En reconnaissant cette unité de la conscience, l’individu peut se libérer des conflits intérieurs et extérieurs. Cette non-dualité n’est pas une théorie ou un concept à adopter intellectuellement, mais une réalité à expérimenter directement, à travers une observation lucide et détachée de soi-même et du monde.
La Liberté Psychologique
Krisnamurti met également l’accent sur l’importance de la liberté intérieure. Il considère que pour vivre cette unité, l’individu doit se libérer de toutes les structures psychologiques qui créent la séparation, qu’elles soient religieuses, politiques, ou sociales. Il rejette toute forme d’autorité spirituelle ou idéologique, affirmant que la vérité ne peut être découverte que par une exploration personnelle. Cette libération est essentielle pour transcender la dualité et entrer dans un état de conscience non fragmenté.
La Méditation sans Technique
Contrairement à de nombreuses traditions orientales qui prônent des techniques de méditation spécifiques, Krisnamurti insiste sur le fait que la méditation est un état d’être plutôt qu’une pratique. Pour lui, la véritable méditation consiste à être dans un état de vigilance et d’observation pure, sans jugement ni interprétation. Dans cet état de perception directe, les divisions entre l’observateur et l’observé s’effacent, et l’individu expérimente la non-dualité, où il n’y a ni centre ni périphérie.
La philosophie non dualiste de Krisnamurti est un appel à transcender la fragmentation psychologique et à réaliser une unité intérieure qui se reflète dans notre relation au monde. En rejetant les divisions créées par l’ego et le conditionnement, il nous invite à voir la vie comme un tout indivisible, où le « moi » et « l’autre », le sujet et l’objet, ne font qu’un. Pour Krisnamurti, c’est dans cette observation sans choix, libre de toute autorité extérieure ou intérieure, que réside la clé de la libération et de la véritable transformation de la conscience humaine.
Et dans la philosophie occidentale alors ?
La philosophie occidentale, depuis ses débuts dans l’Antiquité grecque, a exploré les notions de dualisme et de non-dualisme comme cadres fondamentaux pour comprendre la nature de la réalité, de l’esprit, et du monde. Ces deux approches philosophiques sont au cœur des débats métaphysiques, épistémologiques et éthiques qui ont façonné la pensée occidentale, et elles continuent d’influencer les courants contemporains.
Le Dualisme en Philosophie Occidentale
Le dualisme est l’idée selon laquelle il existe une séparation nette entre deux principes ou réalités fondamentaux, souvent opposés. Dans la philosophie occidentale, le dualisme le plus emblématique est celui de René Descartes (1596-1650), le fondateur du dualisme cartésien, qui postule une distinction entre l’esprit (res cogitans, substance pensante) et la matière (res extensa, substance étendue). Pour Descartes, l’esprit, ou l’âme, est une réalité immatérielle et autonome, tandis que le corps appartient au domaine matériel. Cette séparation entre esprit et matière a donné naissance à une tradition dualiste qui a profondément marqué la métaphysique occidentale, en influençant le débat sur la nature de la conscience, de l’âme et du libre arbitre.
Un autre exemple de dualisme est présent dans le manichéisme, une ancienne religion gnostique, qui oppose le bien et le mal, la lumière et les ténèbres. Cette forme de dualisme moral et métaphysique s’est répercutée dans certaines interprétations religieuses et philosophiques du christianisme.
Le dualisme est souvent utilisé pour expliquer la nature des conflits humains, que ce soit entre le corps et l’esprit, la matière et l’idée, ou encore entre les réalités matérielles et spirituelles. Cette vision du monde se retrouve également dans des débats contemporains sur le matérialisme, où la question se pose de savoir si la conscience est strictement matérielle ou si elle implique une réalité non matérielle.
Le Non-Dualisme en Philosophie Occidentale
En contraste avec le dualisme, le non-dualisme en philosophie occidentale soutient que la division entre deux réalités supposées opposées est illusoire ou artificielle. Le non-dualisme cherche à transcender ces distinctions, affirmant qu’il existe une unité fondamentale derrière les apparences de multiplicité et de séparation.
Une forme de non-dualisme peut être trouvée dans la pensée du philosophe allemand Baruch Spinoza (1632-1677). Spinoza propose une vision non dualiste de la réalité dans son œuvre majeure, Éthique, où il soutient qu’il n’existe qu’une seule substance infinie, qu’il appelle Dieu ou Nature (Deus sive Natura). Cette substance unique se manifeste à travers une infinité de modes, et l’esprit et le corps ne sont que deux aspects différents de la même réalité sous-jacente. Chez Spinoza, il n’y a pas de distinction véritable entre l’esprit et la matière, mais seulement des perspectives différentes sur la même unité.
Le monisme de Spinoza est un exemple clé du non-dualisme occidental, car il rejette la séparation entre Dieu et le monde, entre l’esprit et la matière, affirmant que tout est une expression de la même substance universelle. Cette vision non dualiste a eu une influence majeure sur les penseurs postérieurs et les philosophies idéalistes.
Une autre forme de non-dualisme est présente dans les philosophies idéales, telles que celles de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). Pour Hegel, la réalité ultime est un tout organique et dialectique où les opposés (l’esprit et la nature, le sujet et l’objet) sont réconciliés dans une unité supérieure. La dialectique hégélienne montre comment les contradictions apparentes dans la réalité s’intègrent et se résolvent en une synthèse qui transcende la dualité.
Dualisme et Non-Dualisme dans la Pensée Contemporaine
Dans la philosophie contemporaine, les débats entre dualisme et non-dualisme se poursuivent, en particulier dans les discussions sur la nature de la conscience. Des philosophes comme David Chalmers ont remis au goût du jour le dualisme en explorant les « problèmes difficiles » de la conscience, notamment la manière dont des expériences subjectives (qualia) peuvent émerger de processus physiques. Ce type de dualisme propriété suggère que la conscience possède des caractéristiques non réductibles aux phénomènes physiques, tout en restant attachée à la matière.
En revanche, des penseurs comme Maurice Merleau-Ponty ou Heidegger s’inscrivent dans des traditions phénoménologiques ou existentialistes qui rejettent la dualité cartésienne et insistent sur l’unité de l’expérience humaine, où corps et esprit sont inséparablement liés dans le vécu et la perception.
La philosophie occidentale a longtemps été marquée par une tension entre les visions dualistes et non dualistes du monde. Le dualisme met l’accent sur la séparation et la distinction entre différentes réalités, que ce soit l’esprit et la matière ou le bien et le mal. À l’inverse, le non-dualisme insiste sur l’unité sous-jacente de toutes choses, cherchant à transcender les oppositions apparentes pour révéler une réalité plus fondamentale. Ces deux perspectives continuent de structurer les réflexions contemporaines sur la nature de la conscience, de la réalité et du soi, enrichissant la compréhension philosophique de l’existence humaine.
Du dualisme à la non dualité, dissolution de l’observateur et de l’ego
La Critique du Dualisme et la Naissance de la Non-Dualité
Toutefois, à mesure que la pensée philosophique et spirituelle évoluait, cette conception dualiste de la réalité a été remise en question. Le sentiment de séparation entre l’observateur et l’observé a conduit à de nombreuses interrogations philosophiques : si l’ego est une entité distincte, quelle est sa véritable nature ? Est-il vraiment indépendant du monde ou est-il simplement une illusion ?
Les traditions non dualistes, présentes aussi bien dans la philosophie orientale (Advaita Vedānta, Bouddhisme Mahāyāna) que dans certaines formes de pensée occidentale (Spinoza, Hegel), soutiennent que cette séparation apparente est en fait une illusion. Ces philosophies postulent que l’ego, qui semble être une entité distincte et autonome, n’est en réalité qu’une construction mentale temporaire.
Dans le non-dualisme, l’observateur et l’observé ne sont pas réellement séparés. La distinction même entre le sujet et l’objet s’effondre, révélant une unité sous-jacente à toutes les expériences. L’idée fondamentale est que tout est un : il n’y a pas de séparation entre soi et le monde, entre l’ego et le reste de la réalité. Le sentiment d’individualité est perçu comme une illusion (ou Maya, dans les termes de l’Advaita Vedānta).
L’Ego comme Illusion : La Perspective Non-Dualiste
Dans la philosophie non dualiste, en particulier dans l’Advaita Vedānta d’Adi Shankaracharya, l’Atman (le soi individuel) est en vérité identique au Brahman (la réalité ultime ou absolue). La dualité entre l’observateur (Atman) et l’observé (le monde) est une illusion résultant de l’ignorance. Quand cette ignorance est surmontée, on réalise que le soi individuel n’est qu’une expression limitée de la réalité infinie.
De même, dans le bouddhisme Mahāyāna, le concept de vacuité (Śūnyatā) soutient que toutes les distinctions entre les phénomènes, y compris celle entre l’observateur et l’observé, sont sans essence propre. La conscience est une expression dynamique et interdépendante, et l’ego est vu comme un agrégat temporaire de pensées et de perceptions qui n’a pas de réalité indépendante.
De l’Observateur à l’Unité : Le Chemin Vers la Non-Dualité
Dans l’évolution de la pensée, le passage du dualisme à la non-dualité se fait par une transformation radicale de la perception de soi. Dans la philosophie dualiste, l’individu est considéré comme un observateur séparé du monde extérieur, en quête de compréhension. Mais dans la non-dualité, l’observateur devient partie intégrante de ce qui est observé.
Cette réalisation non-dualiste n’est pas simplement une compréhension intellectuelle, mais plutôt une expérience directe de la réalité dans laquelle l’ego est vu pour ce qu’il est : une construction illusoire. Le véritable éveil, selon cette philosophie, est la reconnaissance que l’ego n’a jamais été séparé du monde, et que l’individu et l’univers ne font qu’un.
Conclusion
L’évolution de la pensée dualiste à la philosophie non-dualiste illustre un passage d’une vision de séparation et de division vers une réalisation profonde de l’unité de la conscience et de la réalité. Là où le dualisme voit une scission entre l’observateur et l’observé, entre l’ego et le monde, la non-dualité révèle que ces distinctions sont illusoires. Le dépassement de l’ego, la réalisation de l’unité fondamentale, est au cœur de la quête philosophique et spirituelle, tant en Occident qu’en Orient.